Jusqu’à l’âge de 7 ans un enfant au Brésil est laissé à la charge de sa municipalité. Bien souvent, dans les régions les plus pauvres, les municipalités n’ont pas les moyens (ou ne se donnent malheureusement pas toujours les moyens) d’ouvrir des écoles de pré-scolarisation. Nous ne pouvons pas laisser les enfants sans savoir lire et écrire, indépendamment des conditions de vie de chacun d’entre eux...

L’Association Santa Vitória a créé une école pré-infantil dans le grand village de Santa Vitória, dans l’Etat du Maranhão au Brésil, à quatre heures d’une route tortueuse de la première ville. Pendant les cinq mois de période des pluies, la route est impraticable et laisse difficilement passer quelconque moyens de transport. A Santa Vitória il n’y a pas de médecin.

Les enfants apprennent en priorité à lire et à écrire. Le respect de l’autre, l’éveil moteur ou encore l’hygiène sont des éléments tout autant appliqués dans l’école. Notre travail est aussi de renforcer le lien social à travers la santé. Les enfants sont pris en charge en cas d’urgence et les familles sont suivies pour des conseils santé ou en ce qui concerne les différentes formes de prévention.

29.7.09

Francisca

Comme vous l’aurez compris en lisant l’article précédent, Francisca est notre ‘ chef cuisinière’.
Lors de l’interview, le cadre du récit ‘famille-travail’ a été dépassé.
Son parcours est assez incroyable pour une jeune fille de seulement 22 ans, et il me semblait intéressant de vous en faire part.
Notre école est composée de personnes ayant une histoire personnelle aussi agitée que la route qui relie le village à la ville de Barra do Corda !


Francisca arrive d’un petit village appelé « Lagoa Vermelha ».
Il y a deux ans, 80 personnes peuplaient encore Lagoa Vermelha.
Il y avait une école publique qui peu à peu s’est détruite et personne ne l’a réparée. L’école n’a plus fonctionné, la mairie de Barra do Corda ne s’en est pas préoccupée, et les habitants ont quitté les lieux, progressivement.
Aujourd’hui, il reste une dizaine de personnes qui travaillent la terre. Le mari de Francisca en fait partie. Il ne retrouve sa femme et ses enfants à Santa Vitória que le samedi, pour déjà repartir, à Lagoa vermelha, dans la nuit de dimanche à lundi.

Francisca était plutôt destinée à une vie de citadine.
Elle évoque ses plats préféres et ce qu’elle aime cuisiner, lorsque je lui demande si c’est sa maman qui lui a transmis la passion de la cuisine.. Je sens alors comme une une faiblesse, une larme intérieure :

- Non, ce n’est pas ma maman. Mes parents se sont séparés quand j’avais 3 ans, et je n’ai jamais revu ma mère, Explique t’elle.
Mon papa lui en a voulu, il nous a toujours dit qu’elle nous avait abandonnés.
Nous étions 4 enfants à la maison. Maman est partie avec mon frère de 1 mois.
Papa est tombé malade assez vite, il ne pouvait plus s’occuper de nous, et nous avons dû, mes frères et moi, nous séparer chacun de notre côté.
Je suis partie vivre dans la ville de Tuntum (toujours dans le Maranhão), chez mon arrière grand-mère.
Je vivais une enfance assez tranquille jusqu’à ce que mon arrière grand-mère décède. J’avais 13 ans. ».

- Et qu’as-tu fait ?

- Je suis allée à São Luis (capitale du Maranhão). C’est une lointaine parente qui m’hébergeait.

- C’est à São Luis alors que tu as appris à faire la cuisine ?

- Notre voisine avait une ‘lanchonete’ (un mini-resto).
Cette parente chez qui je vivais, s’est séparée de son mari, je suis donc allée vivre chez la voisine. Je travaillais dans sa lanchonete comme employée et, dans sa maison, en tant que femme de ménage ; en échange, elle m’hébergeait.
C’est là que j’ai appris à faire à manger, j’ai même appris à faire du pain!

- ..Et c’est là que, enfin, tu as trouvé la stabilité..

- Non. Pas du tout. Je suis tombé enceinte à 14 ans d’un garçon de 27 ans. Je souhaitais retourner à Tuntum mais lui ne voulait pas m’accompagner. Mon père était souffrant, je souhaitais le voir. Je suis partie toute seule, enceinte.

- Qu’était devenu ton père ?

- Mon père avait refait sa vie. J’ai habité chez lui pendant deux mois, mais sa nouvelle femme était odieuse et ne voulait pas de moi à la maison.
J’ai pensé repartir à São Luis et c’est à ce moment que j’ai rencontré celui qui allait devenir mon mari. Lui, ne souhaitait pas me voir repartir à São Luis. Il travaillait déjà à l’époque à Lagoa Vermellha, sa famille vivait là-bas, et, par amour, je suis partie habiter avec lui ..et avec mon fils!

- C’est toujours assez compliqué de repartir de la ville et aller vers un village perdu, non ?

- (elle sourie) C’était un vrai retour en arrière. Il fallait aller chercher l’eau au puits, s’occuper des animaux, et surtout travailler aux champs ! Je n’avais que 16 ans. Il n’y avait pas non plus de route digne, et, en saisons des pluies, en cas de blessure grave, les hommes du village transportaient les malades dans un hamac suspendu et attaché à deux bouts de bois, les pieds et les jambes dans la boue, pendant des heures. Ça m’a marquée.

- Tu n’as jamais eu de nouvelles de ta maman ?

- Si, l’année dernière! Elle m’a écrit une lettre qui a fait un périple incroyable avant de m’arriver dans les mains ! Je l’ai appellée il n’y a pas si longtemps, pour la première fois.

- Et tes frères ?

- Celui qui est resté avec maman est mort d’une congestion en se baignant au fleuve quant il était enfant.
Ma soeur et mon autre frère sont repartis vivre dans une même maison, il y a un an de ça ! On a prévu de se revoir.

- Quelle dernière année !..Mais surtout quelle vie..As-tu déjà le recul nécessaire pour analyser ton parcours jusqu’à aujourd’hui ?

- J’ai appris beaucoup de choses. J’ai l’impression que je peux survivre à tout ! (elle rigole) Je me sens plus forte.
Elle hésite.. Par contre je n’ai pas étudié comme je l’aurais souhaité. C’est mon grand regret. Je me suis mariée très jeune. Aujourd’hui, j’ai trois enfants, et je ne veux pas qu’ils vivent séparés. C’est presque une angoisse. Je veux qu’ils étudient le plus possible.
En fait, je souhaite leur donner tout ce que je n’ai pas eu.

- Tu as des rêves ?

- Beaucoup! Je veux rencontrer ma maman, on a plein de choses à se dire.
Mon plus grand rêve, même si je sais que ce n’est qu’un rêve, c’est de voir ma famille réunie. Je nous imagine dans une même maison, mes parents ensemble avec mes frères et ma soeur.
Bon, je sais que ce n’est pas possible, mais j’aimerais tellement au moins que tout le monde pardonne tout le monde et qu’on puisse, à certaines occasions, passer du temps tous ensemble.


(Photos : Francisca avec sa fille - qui est à l'école Robin Hood - ET parmi ses 3 enfants devant leur maison)

Indispensables Neiva et Francisca!

Qui sont les instituteurs de l'école “Robin Hood” ? Qui prépare la ‘merenda’ (le gros goûter) pour les 60 enfants ? Qui nous aide et comment ?
Pour répondre à ces questions et à tant d'autres que nous entendons souvent, nous avons décidé de vous présenter une série de portraits de l’équipe.
À travers leurs mots, nous pourrons même, j’espère, mieux comprendre comment se passe la vie dans la région de Santa Vitória.


Je tenais à vous présenter deux personnes qui font partie de notre équipe à Santa Vitória et qui ne sont pas des instituteurs.
Deux personnes indispensables au bon fonctionnement de notre projet.



Neiva est ‘Zeladora’. Ce mot signifie ‘concierge’ en portugais. Elle a la responsabilité du bâtiment, du jardin, des travaux et de l’hygiène générale.

Francisca est ‘Merendeira’. Elle est responsable du menu et du repas servi chaque jour aux enfants.

Neiva a trois enfants de trois papas différents. Elle vit avec sa dernière fille, Kelly, et le papa de celle-ci. C’est Dona Raimundinha qui a fait naître Kelly, à la maison ! (voir notre article sur Dona Raimunda).

Chez la maman de Neiva vivent 17 personnes ! Dont tous les petits-fils qui ont un papa qui n’a pas reconnu l’enfant. Neiva passe beaucoup de temps chez sa maman afin de l’aider.
Le bruit et la confusion ne l’épouvantent pas, elle aime les grandes familles et elle est habituée à vivre au milieu d’une grande marmaille.

Neiva a étudié en prenant son temps. Elle a terminé ses études à 27 ans. Elle a arrêté une fois, puis a repris, avec courage. Elle n’a pas pu obtenir son bacalauréat brésilien car à Santa Vitória on ne peut pas aller bien loin dans ses études :
« J’aurais aimé être institutrice, mais je n’ai jamais eu les moyens de sortir du village », dit-elle.

Notre Zeladora insiste sur une de ses missions, sur laquelle nous avons beaucoup travaillé depuis les débuts de l’école : les petis mots magiques de politesse !
Dire bonjour à chaque enfant qui entre dans l’école le matin, attendre un bonjour en retour...
Francisca, elle, attend avec impatience, avant de déposer l’assiette du repas sur la table, que nos chérubins prononcent le fameux mot «merci».

Laver les mains des enfants, contrôler la propreté de chacun...

« L’éducation commence à la maison. Malheureusement c’est très rarement le cas à Santa Vitória, car justement, personne n’a reçu cette éducation étant petit » raconte Neiva.

Puis vient l’éducation du palais !
Francisca : « De très nombreuses écoles n’offrent pas de repas. Ce sont les parents qui doivent laisser à leurs fils quelque chose à grignoter. Beaucoup d’enfants arrivent à l’école sans avoir pris de petit déjeuner. Leur offrir un gros goûter, voire un bon repas, c’est très important je crois ».

L’effort porte aussi sur la diversité et la découverte de nouvelles saveurs.
« Je fais de la soupe avec des légumes et de la viande une fois par semaine. Au début, les enfants ne voulaient pas en entendre parler ! Aujourd’hui l’assiette revient vide » ..Francisca évoque aussi son ‘Cha de burro’, autrement dit, en portugais dans le texte, son ‘thé d’âne’ ! :
« Le cha du burro est une boisson faite avec du maïs, du lait et de la noix de coco. Les enfants étaient assez réticents, puis, finalement, ils en redemandent toujours ! » Raconte t’elle.

« C’est notre façon à nous d’enseigner », conclue Neiva, qui rêve toujours d’être institutrice.
« On se sent très responsables, notre fonction dans l’école est reconnue, on a un vrai rôle à jouer ! » ajoute Francisca.

Pouvez-vous nous offrir le secret d’une recette typique de la région, comme cette délicieuse ‘Mangusta’ que vous avez préparée pour un de nos ‘repas spéciaux’ (voir article du Blog) ?


MANGUSTA :

Cueillir les mangues des arbres. Les laver. Les mettre dans une casserole et faire bouillir l’eau. Laisser 10 minutes sur le feu et elles sont cuites.
Laisser refroidir et retirer la peau.
Ne garder que le fruit(retirer le noyau!) et passer cette pulpe au mixeur, avec du lait, du sucre et de la noix de coco cueillie sur l’arbre.
Votre mangusta est fin prête !
Un délice..

Neiva et Francisca, un mot pour nos lecteurs ?.. :
« Nous remercions beaucoup tous ceux qui aident au développement de cette école, nous espèrons qu’ils ne vont pas nous abandonner. Nous ne souhaitons pas retourner à l’état de pierre sans école au village. Il existe des endroits, dans ces régions défavorisées du Brésil, où les enfants doivent marcher pendant des kilomètres pour pouvoir rejoindre leur école, une école qui n’est pas conforme à leurs besoins, où l’enfant n’est pas pris en considération et où il n’y a pas de repas ! ».


(Photo: Neiva avec ses deux enfants)